Tourisme de croisière : cerner les enjeux

 Dans Economie, Environnement, Méditerranée, Social, Urbanisme

Les villes portuaires euro-méditerranéennes qui accueillent des bateaux de croisière comme c’est le cas à Marseille, font face à des enjeux qui dépassent largement leur seul impact sur les activités portuaires et la fréquentation touristique.  Face à cela, les autorités publiques ne disposent pas d’informations suffisantes pour comprendre et mesurer l’ensemble des phénomènes liés à cette activité économique, et donc pour élaborer des politiques publiques adaptées. Pour répondre à ce besoin, Le Mouvement préconise la réalisation d’études multicritères en amont, maîtrisées par la puissance publique.

En préambule, rappelons que le développement exponentiel des lignes aériennes à bas coût au milieu des années 2000 sur les aéroports régionaux en France a suscité un vaste débat, notamment parce que les collectivités locales des destinations concernées étaient sollicitées pour leur apporter des aides financières basées sur le nombre de passagers débarqués.

Progressivement, elles ont mis en place des outils de mesure pour évaluer l’impact réel de ces nouveaux flux de passagers, allant parfois même jusqu’à mesurer leurs effets sur les marchés locaux de l’immobilier. Le modèle économique des compagnies aériennes à bas coût continue de reposer aujourd’hui en partie sur la valorisation, la vente en quelque sorte, de chaque passager débarqué, puisque susceptible d’avoir un impact sur l’activité économique locale.

Le modèle économique des compagnies de croisière actuelles est également inspiré de l’économie à bas coût. Du point de vue commercial, le remplissage des bateaux se fait grâce à une politique de prix « tout compris » très agressive (en elle-même insuffisante pour assurer l’équilibre de l’activité) et la rentabilisation des opérations repose dès lors sur un ensemble de services additionnels payants proposés à bord aux passagers, et sur la recherche d’économies ou de revenus générés dans les zones de stationnement des bateaux, que ce soit en tête de ligne ou en escales.

La manne financière que représente localement les bateaux de croisière fait l’objet de nombreuses études d’impact économique, et ce dans toutes les villes portuaires françaises concernées. Au-delà, on constate un manque criant d’information sur ses autres effets. Le débat sur la pollution atmosphérique générée par les bateaux de croisière prospère d’autant mieux que les outils pour en mesurer les effets sanitaires et environnementaux concrets sont rares. De même, les études sur l’impact social et urbanistique du tourisme de croisière sont quasi-absentes, alors même que les habitants des centres touristiques concernés constatent dans leur vie quotidienne les effets bien spécifiques et parfois négatifs de cette nouvelle forme du tourisme de masse.

Les études d’impact économique du tourisme de croisière

Les études économiques [1] sur le tourisme de croisière sont souvent sujettes à caution. Celles qui tentent de cerner l’impact local des passagers qui débarquent émanent des acteurs économiques ou des chambres de commerce qui agissent en tant que lobbies vis à vis de la puissance publique qu’ils sollicitent régulièrement pour faciliter le développement de ce marché.

Les collectivités territoriales sont donc associées à l’évaluation des grandes tendances mais n’ont pas de contrôle sur les études qui mesurent l’impact local de ces activités, donnée pourtant essentielle à la décision publique. Dès lors se pose la question de leur objectivité et de leur complétude face au sujet du développement économique tel qu’il doit être envisagé par la puissance publique.

L’exemple le plus frappant est l’absence de transparence sur les moyens d’évaluation du nombre de passagers en transit débarquant effectivement des bateaux

A l’examen, il manque souvent dans ces études des informations essentielles sur les méthodologies employées pour évaluer les comportements de consommation des croisiéristes. L’exemple le plus frappant est l’absence de transparence sur les moyens d’évaluation du nombre de passagers en transit débarquant effectivement des bateaux (qui varie de 20 à 70 % selon les études consultées !) alors que l’on sait par ailleurs que les armateurs développent des moyens conséquents pour conserver leurs passagers à bord et les orienter sur des activités propres durant les escales. Celles des études qui prennent l’ensemble des passagers en transit pour base de calcul ont pour effet de fortement surévaluer l’impact des passagers débarquant sur l’économie locale.

Enfin, ces études d’impact ne tiennent pas compte des contreparties consenties par les collectivités comme par les acteurs économiques pour favoriser l’accueil des bateaux ou pour bénéficier d’une orientation préférentielle des flux touristiques qui débarquent effectivement.

Pour constituer des outils d’analyse économique complets, elles devraient intégrer :

  • les investissements publics d’aménagements réalisés pour l’accueil des bateaux
  • les éventuels avantages ou abattements particuliers qui sont consentis aux armateurs dans un contexte nord-méditerranéen de forte concurrence entre les ports d’accueil
  • les montants des systèmes de commissionnements mis en place entre les armateurs et les prestataires qui sont à terre, et dont le produit ne bénéficie évidemment pas à l’économie locale.

L’impact environnemental, social et urbanistique des bateaux de croisière et de leurs passagers

Les études existantes sur la pollution atmosphérique issue des bateaux de croisière n’aboutissent généralement pas à une évaluation concrète de son impact sanitaire sur les populations et sur l’environnement.

Seule la ville de Bordeaux a mis en place en 2018 une campagne d’évaluation sanitaire, dont les résultats ont par ailleurs été jugés rassurants. Celle menée auparavant en 2017 à Marseille avait pour sa part indiqué des chiffres alarmants quant aux pollutions atmosphériques émises par les bateaux à quai, mais sans mesurer leur impact réel sur les populations.

Il est paradoxal à l’heure de l’urgence climatique déclarée, que des outils de mesure de l’impact sanitaire et environnemental des bateaux ne soient pas généralisés dans l’ensemble des zones concernées

De manière plus générale, en étendant la problématique à l’ensemble des navires fréquentant un port de commerce, il est paradoxal à l’heure de l’urgence climatique déclarée que des outils de mesure de l’impact sanitaire et environnemental des bateaux ne soient pas généralisés dans l’ensemble des zones concernées, à commencer par celles qui incluent des zones d’habitation dense. Toujours dans le domaine environnemental, les autres impacts propres au fonctionnement des bateaux (déchets, eaux usées…) ne font pas non plus l’objet d’études rendues publiques.

L’impact urbanistique et social des flux touristiques n’a pour sa part fait l’objet d’aucune étude dans les villes françaises accueillant les bateaux de croisières. Ici aussi, il serait utile de connaître l’impact des flux de passagers croisière, notamment au regard de leur caractère atypique, massif et concentré dans le temps, générant des effets de « stress » tout à fait spécifiques. Ils impliquent des évolutions urbaines, des aménagements publics spécifiques et dédiés, des évolutions dans les offres de transport, une mutation des activités commerciales comme actuellement constaté dans ce centre-ville de Marseille où des activités de commerce de proximité essentielles aux habitants sont désormais délaissées pour faire place à des points de vente dédiés aux achats de souvenirs.

Globalement, ces changements ont un impact sur la qualité de vie des habitants confrontés à une évolution de leur cadre de vie, et ils devraient donc, eux aussi, être spécifiquement étudiés.

 

Les recommandations du Mouvement

  • Les collectivités publiques, garantes de l’intérêt général, ont la responsabilité de collecter l’ensemble des informations susceptibles de renseigner la problématique du développement du tourisme de croisière.
  • Pour ce faire, elles doivent mettre en place, sous leur responsabilité et leur contrôle, un outil d’évaluation multicritères à partir d’études des différents aspects économiques, environnementaux, sociaux et urbanistiques du développement de l’activité de croisière.
  • Lorsqu’elles souhaitent utiliser des études réalisées par des parties prenantes au développement de cette activité, elles doivent s’assurer de leur qualité méthodologique comme de leur objectivité.
  • Sur ces bases, les collectivités pourront apporter une information transparente, fiable et complète à leurs administrés, organiser le débat public et faire le choix d’une politique publique adaptée

 

Note collective du 10 juillet 2019

[1] Impact économique des ports départementaux – CCI Nice Côte d’Azur, janvier 2012 / Retombées économiques des croisières dans le département, CCI de Perpignan, janvier2016 / Enjeux et potentialités de la croisière maritime en PACA, CESER, avril 2016 / Impact sectoriel de la croisière en région PACA, BVA, 2017 / Marché de la croisière : impact commercial et retombées économiques, CCI Marseille Provence, Juillet 2017 / Accueil et transport des croisiéristes en escale, CEREMA, novembre 2018

 

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